Camille Claudel

 

 

1864 - 1943

 

 

 

Camille s’apprête à sortir de son atelier de sculpture du quai Bourbon. Elle a mis ses beaux habits, ceux qu’elle a préservés des chats. Elle vient de quitter ses dernières sculptures, que le public ne connaît pas encore. Le regard est encore empli de la dernière création, précis et pourtant absent. Elle est indisponible à la rencontre, et la bouche ne veut pas parler.

 

Elle traine un mal être profond, de sa relation complexe à ses parents, à son frère Paul, à Rodin, à d’autres génies encore au milieu desquels elle a eu la funeste malchance de vouloir vivre, de vouloir vivre pleinement.

 

 

 

Tout enfant, elle a remplacé son frère mort à 16 mois à la place de l’ainé de la famille. Mais celle qui doit tracer la voie à sa jeune sœur et au « petit dernier » se révèle plus explorateur d’horizons artistiques nouveaux que chef de cordée avançant simplement et droit devant.

 

 

 

Elle convainc sa mère de partir à Paris. Seul son père l’encourage. Mais il ne suit pas sa famille. Camille veut se confronter aux plus grands des sculpteurs. Alfred Boucher, son premier maître, cède la place à l’encombrant Auguste Rodin. Camille a 18 ans. L’élève devient collaboratrice, inspiratrice, et bientôt créatrice à côté du maître. Il le reconnait : « Je lui ai montré où trouver de l'or, mais l'or qu'elle trouve est bien à elle ».

 

Et bientôt Rodin la gêne. Il attire la lumière et monopolise les commandes.

 

Elle doit quitter le maître.

 

Elle s’installe seul dans l’atelier du quai Bourbon.

 

Elle abandonne son maitre car il la retient, il la leste, il s’en sert. Libérée, elle s’envole et laisse ses dons uniques s’exprimer dans les mouvements les plus simples et les plus vivants qu’elle sait capter des corps de ses modèles. La grâce est là, nue et fragile. Elle ose les nus masculins réservés aux seuls hommes.

 

Telle une montgolfière qui cherche l’air en s’élevant, Camille s’éloigne de la terre des hommes.

 

 

 

Elle connait alors la misère d’un artiste sans commande, le froid de l’atelier trop vide, le mépris des artistes en place qui contestent son génie, la solitude après l’éloignement des siens et pour seule compagnie, celle de ses chats.

 

Son mal de vivre, sa tension pour exister comme artiste viennent à bout de sa résistance. Elle se retire involontairement. Internée à la demande de sa famille pendant près de 30 ans car atteinte de paranoïa, cette maladie de la relation aux autres, la puissance créatrice s’éteint en elle et disparait.

 

 

 

Les soutiens trop discrets de Paul et de quelques amis ne compensent pas les silences de son père mort et de sa mère enfermée dans sa propre douleur, et elle meurt seule, pauvre et affamée, au cœur de la seconde guerre mondiale qui l’ensevelit à jamais, laissant son œuvre joyeuse et solaire comme un témoignage de l’infini qu’elle voulait atteindre. 

 

 

Texte Paul H. Barre